Le grand orgue de la cathédrale Poitiers est l’un des rares instruments français du XVIIIème siècle restés intacts. Sa valeur patrimoniale est inestimable dans la mesure où la quasi intégralité de son matériel sonore est d'origine et au diapason prévu par son facteur, ce qui en fait le plus autenthique des grands 16 pieds français.
Buffets
L’orgue présente la disposition traditionnelle des buffets de l'ancien régime : deux buffets, le positif de dos situé au bord de la tribune, et le grand buffet sous la rosace. Ces deux menuiseries majestueuses réalisées en chêne sont l’œuvre de deux artistes poitevins, Favre et Berton, lesquels réalisèrent également la chaire à prêcher. Le plus grand tuyau abrité par le grand buffet étant un tuyau de montre de 16 pieds, l'ensemble de l'instrument est appelé "grand seize pieds".
Parfaitement inséré dans son environnement, l'orgue de la cathédrale s'étend sur 14 mètres de hauteur : dimensions impressionnantes dont on peine à prendre conscience tant les proportions sont admirables dans ce vaste volume.
Les deux buffets sont ornés de motifs ornementaux traditionnels de la décoration classique : moulures, pots à feu, trophées aux instruments de musique, angelots... L'ange sommital, majestueux, arbore deux trompettes, l'une embouchée, l'autre tenue par la main gauche. Les trophées du positif sont également de belle composition, ainsi que les deux charmants angelots qui surmontent ce petit buffet. Au bas du positif, un blason arborait trois fleurs de lys qui ont été martelées à la Révolution : seule déprédation à noter de cette période troublée.
L'ensemble de la décoration, remarquablement réalisée et proportionnée, dégage une impression de mesure et de retenue, loin des boiseries beaucoup plus chargées d'autres instruments du XVIIIème. Ces boiseries sont recouvertes d'une sorte d'apprêt qui devait probablement recevoir une peinture de finition jamais réalisée. L'examen de la charpente intérieure de l'instrument, surproportionnée, permet de comprendre comment l'instrument a pu résister aux aléas du temps sans manifester de signe de faiblesse.
L'odonnancement des tuyaux de façade est relativement sobre : positif à deux tourelles et une plate-face centrale, grand orgue à deux tourelles latérales, une tourelle centrale flanquée de deux tourelles plus petites, le tout relié par deux grandes plates-faces. Le dessin des bouches viennent rythmer cet ensemble qui, sans cela, pourrait sembler sévère.
Il faut noter la profondeur relativement réduite des buffets, une constante de la facture ancienne pour privilégier naturellement la projection du son dans l'édifice. Cette règle simple sera bien vite oubliée au XIXème siècle où l'on hésitera plus à user de profondeurs pour le moins déraisonnables au regard de l'efficacité sonore...
Console
Parfait héritier de la facture classique, François-Henri Clicquot réalise une console traditionelle en fenêtre, entre les deux buffets. Elle regroupe l'ensemble des commandes nécessaires aux jeux :
♦ les 44 tirants de registres ainsi que ceux dévolus aux tremblants ;
♦ Les 4 claviers dans l'ordre traditionnel : positif, grand orgue, récit, écho. A noter l'accouplement à tiroir couplé à deux manettes métalliques de part et d'autre du bloc de clavier, manettes qui viennent solidariser les deux premiers claviers de telle sorte que ces claviers ne puissent pas bouger pendant le jeu de l'instrumentiste.
♦ le clavier de pédale ; celui-ci fait partie des rares éléments non originaux. Changé pour un modèle à l'allemande, le pédalier d'origine est perdu. Un pédalier à la française a été restitué en 2010. L'aplomb est relativement troublant pour un non-initié dans la mesure où le pédalier est décalé d'une quarte par rapport aux normes modernes.
♦ le banc et le pupitre.
Soufflerie
Pour alimenter l'ensemble de l'orgue, une soufflerie est disposée à même la tribune, dans les deux collatéraux. La soufflerie actuelle n'est pas originale, Merklin ayant changé la soufflerie de Clicquot. Lors de la restauration achevée en 1994, une soufflerie semblable aux souffleries du XVIIIème siècle a été construite, reprenant au plus près les informations nombreuses glanées dans différents documents au premier rang desquels figure le devis de Clicquot, ainsi que des indices relevés à la tribune.
On peut ainsi admirer le remarquable travail des facteurs Boisseau et Cattiaux avec ces neuf soufflets cunéiformes, cinq sur la tribune sud, quatre sur la tribune nord. Electrifiée dès 1926, la soufflerie est actuellement alimentée par un ventilateur électrique neuf datant en 2010 et situé au sud. Seuls quatre soufflets sont actifs, le fonctionnement avec un ventilateur ne nécessitant pas que tous les soufflets soient en activité. A l'heure actuelle, cette soufflerie n'est pas manoeuvrable à la main.
La pression fournie est de 124 mm de colonne d'eau. Cette pression est forte pour un orgue classique. Elle est nécessitée par l'ampleur du vaisseau et la réverbération très généreuse qui en résulte.
Il est à noter que le réseau de portevents est lui aussi en très grande partie original. Deux portevents principaux provenant des deux groupes de soufflets viennent alimenter les sommiers, se rejoignant au milieu du grand buffet.
Mécanique
La mécanique des claviers, du pédalier et du tirage de jeu est entièrement originale.
Là encore, la rigueur et la beauté de la réalisation forcent l'admiration. La mécanique, très accessible (comme d'ailleurs la totalité de l'instrument) par le soubassement du grand buffet, est d'une clarté parfaite. Particularité d'une grande élégance et d'une grande efficacité, l'abrégé quadruple de la pédale est immédiatement remarquable. Après un examen plus attentif, on peu remarquer les rouleaux métalliques d'abrégé des notes graves du positif, ainsi réalisés pour une question d'encombrement.
Les touches du pédalier à la française sont directement accrochées à la mécanique, sans contre touches. Cette disposition interdit tout pédalier interchangeable. Cette option serait d'ailleurs totalement inutile à Poitiers au vue des caractéristiques de ce plan sonore (composition, absence de tirasses, ambitus).
Disposition intérieure
La disposition intérieure répond au canons de la facture classique :
♦ tuyauterie du positif dans son buffet, à l'avant de la tribune ;
♦ grand orgue au niveau des plates-faces et des tourelles centrales du grand buffet ;
♦ pédale dans les grandes tourelles latérales ;
♦ récit au revers de la tourelle centrale du grand buffet, un peu au-dessus du grand orgue ;
♦ écho dans le soubassement du grand buffet, juste au-dessus de l'organiste et de la console. Deux petits panneaux en treillis permettent au son de s'échapper du buffet.
Matériel sonore
Plus que tout autre élément de l'orgue, les tuyaux du Clicquot constituent sans nul doute un trésor absolument inestimable.
Les buffets abritent plus de 3000 tuyaux, la plupart en étain fin de Cornouailles et plomb, d'autres en chêne. Il faut noter d'une part la qualité exceptionnelle des matières premières utilisées, et d'autre part la réalisation parfaite de ce matériel sonore, tant au niveau technique qu'au niveau de l'harmonie.
Il faut s'attarder sur les jeux d'anches dont l'intensité et la beauté des timbres ont fait la réputation de Clicquot.et la célébrité de l'instrument de la cathédrale. Là encore, pas de créations nouvelles, mais une sublimation de deux siècles de facture d'orgue en France. On retrouve donc les jeux habituels : trompettes, clairons, cromorne, hautbois et voix humaine. Ces jeux sont d'un éclat et d'une portée qui, relayés par la cathédrale, laissent sans voix l'auditeur. Le cromorne est sans doute l'un des plus remarquables par sa taille généreuse. Ses aigus sont si riches qu'ils permettent un cantabile sans égal dans les récits. La puissance relative de ce jeu est telle qu'il peut être accompagné de l'ensemble du fond d'orgue de 16, 8 et 4 pieds du grand orgue dans un récit en taille.
Composition
La composition mérite quelques remarques. Elle est globalement traditionnelle de la facture classique tardive : absence de larigot au positif, grands ensembles du fond d'orgue, du grand plein jeu et du grand jeu, dessus de cornet, dessus de flûte... On remarque la présence du dessus de hautbois au récit, jeu magnifique de rondeur et d'un timbre si chaleureux, typique de la fin du XVIIIème siècle. Les jeux de fond de huit pieds viennent se compléter les uns les autres (montre, bourdon et second huit pieds au grand orgue, par exemple) pour donner ce mélange si caractéristique de l'orgue classique français qui s'inspire des cordes de l'orchestre (violons et flûtes).
Cependant, au regard de certains orgues du XVIIIème, cette composition peut étonner par certains aspects : absence de bombarde manuelle, absence de 32 pieds pourtant présents dans des édifices de moindre dimension. Avec un peu d'écoute, on comprend très vite la raison de ces choix : l'acoustique de la cathédrale privilégie les graves d'une façon saisissante. Nourrir excessivement cette acoustique par des basses fréquences aboutirait immanquablement à un manque de lisibilité très préjudiciable à la musique. En outre, les fonds de 16 pieds produisent une telle masse de résultantes qu'on jurerait que l'orgue renferme un 32 pieds pourtant absent. En cela, l'orgue de la cathédrale de Poitiers est un modèle extraordinaire d'équilibre et de conception sonores.
On le voit, unique par sa réalisation exemplaire, mais aussi par son degré de conservation, l'orgue Clicquot de la cathédrale de Poitiers figure parmi les trésors du patrimoine musical français et mondial.