A la suite du terrible incendie qui ravage l'orgue de Crespin Carlier en 1681, la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers reste sans instrument pendant plus d'un siècle.
A la fin du XVIIIème siècle, une vaste campagne de mise au goût du jour de l'intérieur de la cathédrale a lieu. Elle comprend notamment la mise en oeuvre d'un enduit blanc dans tout l'édifice, recouvrant les peintures médiévales jugées démodées, la construction de la balustrade qui court tout au long de la coursive, celle de la chaire à prêcher et de la majestueuse tribune destinée à recevoir un grand orgue.
Cependant, l'argent vient à manquer et il s'avère impossible d'achever le chantier entrepris. Le chapitre de la cathédrale prend alors la décision de vendre une belle futaie sise vers Smarves et Ligugé dont il tire 43 268 livres. Une souscription récolte 12 000 livres et celui-ci mit la main à la bourse de 1 517 livres.
Construction d'un grand seize pieds
Le chapitre fait appel à l’organier le plus fameux du moment, François-Henri Clicquot. Celui-ci se présente devant les chanoines et passe avec eux un marché le 13 août 1787, au terme duquel il travaillerait à construire « un grand seize pieds » de 44 jeux, quatre claviers manuels et pédalier de 28 marches, deux tremblants et neuf soufflets. Coût : 34 000 livres. Les travaux commencent immédiatement. Le buffet, dessiné par Clicquot et son fils, est réalisé par les artistes poitevins Favre et Berton.
Cependant, alors que le chantier touche à sa fin, François-Henri Clicquot vient à mourir le lundi de Pentecôte 24 mai 1790. C’est à son fils Claude-François que revient la tâche d'achever l’instrument.
La réception a lieu le 7 mars 1791.
Interventions ultérieures
La robustesse de l’orgue et le soin apporté au choix des matériaux et à la construction lui ont permis de résister aux outrages du temps dont le plus important fut en 1838 le démontage de la rosace, exposant l'instrument sans défense aux intempéries. Les recherches effectuées par Jean-Albert Villard ont permis de faire l’inventaire de toutes les interventions effectuées sur l’instrument depuis sa construction.
♦ 1813 : Dallery, compagnon et filleul de Clicquot, procède à une remise en état de la soufflerie.
♦ 1821 : Dallery opère un remaniement contestable de la deuxième trompette du grand orgue ayant pour objectif de la faire parler en bombarde.
♦ 1833 : Henry procède à une remise en état de la soufflerie.
♦ 1871 : Merklin remplace neuf soufflets cunéiformes par deux réservoirs à plis parallèles alimentés par des pompes à bras. Il remplace le banc et le pédalier à la française par un pédalier à l’allemande.
♦ 1926 : La soufflerie est electrifiée.
♦ 1927 : Le facteur Robert Boisseau, assisté par la suite de son fils Jean-Loup, assurent l'entretien de l'instrument.
♦ 1954 : mise en place d'un pédalier moderne.
♦ 1967 : réglage mécanique.
♦ 1969 : dépoussiérage des jeux d'anches.
♦ 1976 : remise en place de la deuxième trompette du grand orgue, décalée en 1821. Cette intervention permet à la batterie d'anches de retrouver son équilibre originel.
1988-1994 : une restauration d'envergure
C'est à Jean-Loup Boisseau et Bertrand Cattiaux qu'est confiée la grande restauration qui s'étale de 1988 à 1994. L'ensemble de l'instrument est démonté, nettoyée et dépoussiéré. Le pédalier est remis à son aplomb d'origine. La mécanique est révisée et réglée. L'étanchétité est revue. On réinstalle également une soufflerie cunéiforme répondant aux exigences de la facture du XVIIIème siècle. Les soufflets de Merklin seront néanmoins soigneusement conservés pour être finalement réinstallés à l'orgue de l'église Sainte-radegonde toute proche, orgue correspondant parfaitement à l'esthétique de ce matériel d'excellente qualité.
Lors de cette restauration, une recherche intense est menée pour rétablir le tempérament d'origine, proche du tempérament de Corette. En effet, l'orgue avait été mis au tempérament égal par pincement des tuyaux. Cette recherche louable est alors restée relativement inaboutie mais sera modifiée par la suite.
Depuis 1994
En 2005, un projet d'installation de lève-soufflets est envisagé par le technicien-conseil alors en charge de l'instrument. Ce projet envisageait la mise en oeuvre d'un système assez ingénieux sur le papier, mais de l'ordre du prototype dans la mesure où jamais ce système n'avait été installé sur un grand instrument. En outre, sur les petits instruments sur lesquels ce système avait été installé, l'alimentation en vent était constamment troublée de multiples houppements et sautes d'air dues à la violence avec laquelle les soufflets se remplissaient.
Pour parachever ces constats déjà pour le moins problématiques, on pouvait observer que ce système était extrêmement bruyant. Ce point ne saurait être gênant pour le cas où la soufflerie est installée dans une salle attenante à la tribune, mais dans le cas de la cathédrale de Poitiers, l'installation d'un tel système s'avérait totalement inadapté.
Il est à noter que, lorsqu'ils sont envisagés, les lèves-soufflets sont souvent installés dans un objectif clairement affiché d'authenticité. Cependant, étant donné que le XVIIIème siècle ne connaissait pas les lèves-soufflets, la seule solution parfaitement irréprochable est de rendre la soufflerie manoeuvrable manuellement et non pas d'installer des systèmes plus ou moins hasardeux. Dans ces conditions, les organistes titulaires ont pris la sage décision de s'opposer au projet du technicien-conseil de l'époque, avec succès.
En 2010 a lieu un important entretien réalisé par Jean-Loup Boisseau. On pose alors notamment un pédalier à la française. Les manches des soufflets sont articulés pour faciliter la circulation à la tribune.
Enfin, une intervention courte mais d'une importance capitale a eu lieu à l'automne 2016 par Bertrand Cattiaux à la suite d'un important chantier sur les verrières de fond de nef. Lors de cette intervention, les jeux d'anches ont été déposés, la pression révisée, l'ensemble de l'orgue égalisé, les anches réharmonisées, les garnitures des claviers restaurées, et surtout, le tempérament repris. La formule actuelle, remarquablement réalisée et respectant parfaitement le matériel de Clicquot, semble le meilleur compromis possible pour cet instrument remarquable.
Depuis 2017, l'instrument est entretenu par l'entreprise Béthines - les orgues.
C'est ainsi que, faute d’argent, l’instrument échappe aux transformations envisagées notamment par Cavaillé-Coll. Le manque de moyens a donc permis de conserver l’orgue tel qu’il a été conçu. On peut penser que l’on entend aujourd’hui l’orgue de François-Henri Clicquot avec le même brillant, les mêmes timbres que l’entendirent les « Messieurs du district » le 7 mars 1791 lors de sa réception.